Le no code a changé notre façon de travailler. En quelques clics, on connecte des outils, on automatise des tâches, on remplace des heures de copier-coller par des scénarios qui tournent pendant qu’on dort. Mais très vite, une question arrive : avec quoi construire ces fameux workflows ? Et surtout, entre n8n et Make (ex-Integromat), lequel choisir pour vos automatisations ?
Ces deux plateformes jouent dans la même cour, mais avec des ADN radicalement différents. L’un est open source, presque punk dans son approche. L’autre est ultra léché, pensé pour être confortable dès les premières minutes. Dans cet article, je vous propose de les comparer avec un regard de designer-développeur : pas seulement sur les fonctionnalités, mais aussi sur l’expérience, la logique et la vision derrière chaque outil.
Deux philosophies d’automatisation… et deux publics cibles
Avant de rentrer dans les détails, posons le décor. Comprendre la philosophie d’un outil, c’est déjà anticiper si vous allez bien vivre avec lui au quotidien.
Make, c’est l’automatisation façon studio design scandinave : interface colorée, scénarios visuels, onboarding soigné. On assemble des bulles, on relie des connecteurs, et très vite on a l’impression de jouer plutôt que de « développer ».
n8n, c’est l’automatisation façon atelier de fabrication numérique : open source, auto-hébergeable, très flexible, parfois un peu brut de décoffrage… mais modifiable à l’infini. Si vous aimez mettre les mains dans la machine, vous risquez d’adorer.
En simplifiant :
- Make vise en priorité les équipes marketing, les freelances, les PM, les petites entreprises qui veulent automatiser vite, visuellement, sans se prendre la tête.
- n8n attire naturellement les profils plus techniques, les agences, les développeurs no code/low code, et les structures qui ont des enjeux de privacy et de contrôle (RGPD, hébergement, etc.).
Maintenant que le décor est planté, allons voir ce qui se cache derrière l’interface.
Interface et UX : le terrain de jeu du no code
Quand on parle d’outils no code, l’interface n’est pas un détail : c’est littéralement votre « IDE », votre environnement de travail.
Make propose une expérience très visuelle :
- Chaque étape de votre automatisation est représentée par une bulle (un module) connectée aux autres.
- Les données circulent littéralement sous vos yeux. Vous voyez les paquets d’informations passer d’un module à l’autre.
- Le mapping des champs est extrêmement guidé : menus déroulants, suggestions, variables bien identifiées.
Résultat : même un utilisateur non technique comprend rapidement « ce qui part d’où et va vers quoi ». On peut presque lire un scénario Make comme une BD.
Côté n8n, on retrouve aussi un éditeur visuel, avec des nodes reliés entre eux, mais l’ambiance n’est pas la même :
- Le design est plus sobre, plus « outil de dev ». On est moins dans la gamification, plus dans le diagramme logique.
- Chaque node offre souvent des options plus avancées, ce qui donne beaucoup de puissance, mais peut intimider au début.
- Le mode d’exécution et l’inspection des données sont très granuleux : pratique pour déboguer, un peu moins pour une première prise en main.
Si vous êtes très à l’aise avec la logique de flux, les API, les payloads JSON, l’approche n8n vous semblera naturelle. Si au contraire vous venez du marketing, de la gestion de projet ou que vous débutez dans l’automatisation, Make sera généralement plus rassurant.
Modèles mentaux : scénarios vs workflows
Au-delà de l’esthétique, les deux outils ne vous font pas penser vos automatisations tout à fait de la même façon.
Dans Make, on parle de scénarios. Un scénario, c’est une suite d’actions déclenchées par un événement : un nouveau lead, un formulaire rempli, un fichier ajouté, etc. Le plus souvent, le workflow est linéaire, avec quelques branches conditionnelles (IF, routes).
Dans n8n, on parle plutôt de workflows, et la structure tend à ressembler davantage à un véritable diagramme logique :
- On peut facilement créer des branches complexes, des sous-workflows, des boucles, des appels API personnalisés.
- L’outil accepte très bien le fait que votre automatisation se rapproche d’un mini-programme.
Autrement dit, Make cherche à simplifier et abstraire au maximum. n8n, lui, accepte volontiers l’augmentation de complexité, tant qu’elle vous donne plus de contrôle.
Si vous aimez sentir que vous êtes « proche du code » sans forcément en écrire beaucoup, n8n a de quoi vous plaire. Si vous voulez avant tout penser métier et non « pseudo-code », Make est souvent plus direct.
Connecteurs, intégrations et écosystème
Un outil d’automatisation ne vaut que par sa capacité à parler avec les logiciels que vous utilisez déjà. Sur ce point, les deux plateformes sont très bien dotées, mais avec quelques nuances.
Make bénéficie d’un catalogue d’intégrations très riche et bien documenté, notamment pour :
- les outils marketing (HubSpot, ActiveCampaign, MailerLite, etc.)
- les CRM et outils de vente (Pipedrive, Salesforce, etc.)
- les services cloud (Google Workspace, Notion, Airtable, etc.)
- les réseaux sociaux, la gestion de fichiers, les SMS, etc.
Chaque module est souvent très finement paramétrable. Par exemple, le module Notion ne se contente pas de créer une page : il sait manipuler les bases de données, les propriétés, les relations, avec une interface agréable.
Côté n8n, le nombre de nodes disponibles est lui aussi impressionnant et continue de croître. Mais surtout, n8n brille par sa capacité à s’adapter très vite lorsqu’un connecteur n’existe pas encore :
- Vous pouvez appeler n’importe quelle API REST très facilement avec un HTTP Request Node.
- Vous pouvez écrire un peu de JavaScript dans un Function Node pour manipuler les données comme vous le souhaitez.
- Vous pouvez développer vos propres nodes personnalisés si vraiment vous voulez aller loin.
En résumé, Make mise sur un catalogue clé en main et très ergonomique. n8n mise sur un socle flexible, pensé pour ceux qui ont l’habitude de jongler avec des API, mêmes exotiques.
Hébergement, open source et souveraineté des données
C’est un point souvent sous-estimé au départ, mais qui devient critique dès qu’on parle de données sensibles ou de conformité réglementaire.
Make est une solution SaaS. Vous utilisez la plateforme hébergée par l’éditeur, dans le cloud. C’est :
- pratique (rien à installer, rien à maintenir),
- rapide à prendre en main,
- mais dépendant de l’infrastructure d’un tiers, avec des données qui transitent par leurs serveurs.
Cela convient parfaitement à beaucoup d’entreprises, tant que les données manipulées ne sont pas ultra sensibles. En revanche, pour certains secteurs (santé, juridique, institutions publiques), la question de l’hébergement peut être un frein.
n8n joue ici une carte totalement différente. L’outil est :
- open source,
- auto-hébergeable sur votre propre serveur (ou un cloud que vous gérez),
- proposé aussi en version cloud si vous ne voulez pas vous en occuper.
Auto-héberger n8n, c’est pouvoir dire : « Mes données restent chez moi, point. » Pour certains projets clients, c’est tout simplement non négociable.
Évidemment, cela a un prix : vous devez gérer un minimum d’infrastructure (Docker, base de données, backups, mises à jour…). Si ces mots vous donnent de l’urticaire, la version cloud de n8n sera plus adaptée, mais vous perdrez une partie du bénéfice de contrôle total.
Courbe d’apprentissage et profil utilisateur
La question à se poser est simple : qui va utiliser l’outil au quotidien ?
Avec Make, un profil non technique peut, en quelques heures, :
- connecter un formulaire à un CRM,
- enrichir un contact avec des données issues d’une autre API,
- pousser ensuite ces infos dans un outil d’emailing,
- et envoyer une alerte Slack à l’équipe.
Tout cela, sans écrire une seule ligne de code. La courbe d’apprentissage est douce, et l’interface aide à éviter les erreurs les plus grossières. La notion d’itération rapide est très forte : on teste, on ajuste, on relance.
Avec n8n, la courbe d’apprentissage est un peu plus raide. Non pas parce que l’outil est « mal fait », mais parce qu’il suppose que vous êtes prêt à comprendre :
- la structure des données qui transitent,
- les réponses des API (JSON, headers, status codes…),
- la logique d’exécution d’un workflow, parfois non linéaire.
Si vous aimez déjà bidouiller des scripts, des requêtes API, des webhooks maison, vous serez en terrain familier. Si ce n’est pas le cas, l’outil reste accessible, mais demandera un peu plus de patience.
Performance, fiabilité et scénarios complexes
Automatiser l’envoi d’un e-mail à chaque nouvelle ligne dans un Google Sheet, c’est une chose. Orchestrer des dizaines de milliers d’événements par jour, avec des conditions, des boucles, des erreurs à gérer proprement, c’en est une autre.
Make gère très bien les scénarios complexes, mais son modèle reste globalement linéaire, avec une logique « un scénario = une chaîne d’actions ». Vous pouvez faire des branches, des routes, des itérations, bien sûr, mais l’outil est pensé avant tout pour rester lisible pour un humain « non tech ».
n8n, en revanche, se comporte progressivement comme un moteur de workflow au sens quasi-développeur du terme. Vous pouvez :
- gérer des erreurs de façon très fine,
- rejouer seulement une partie d’un workflow,
- créer des sous-workflows réutilisables comme des fonctions,
- implémenter des logiques conditionnelles avancées, proches de ce que vous feriez en code.
Sur des projets où l’automatisation devient stratégique, avec beaucoup de règles métier et de cas particuliers, cette granularité est précieuse. Elle évite de transformer votre scénario en spaghetti visuel ingérable.
Tarification, crédits et coût réel dans le temps
Parlons argent, parce que c’est souvent ici que se joue le choix final.
Make fonctionne avec un système de crédits d’opérations. Chaque exécution de module consomme un certain nombre d’unités. Plus vous avez de scénarios actifs et de données qui circulent, plus vous consommez.
Les avantages :
- Un plan gratuit très pratique pour démarrer, tester, prototyper.
- Des plans payants bien adaptés aux petites et moyennes structures.
Les limites :
- Il faut apprendre à estimer sa consommation, sous peine de se retrouver à court de crédits pile le jour d’un lancement de campagne.
- Certains scénarios mal pensés peuvent coûter cher (par exemple, scanner trop souvent une source de données au lieu d’utiliser un webhook).
n8n, de son côté, a un avantage majeur : si vous auto-hébergez la solution, le coût est principalement lié à votre serveur (ou à votre infrastructure cloud) et au temps que vous y consacrez. Pas de crédit par opération.
La version n8n cloud, elle, propose des plans avec un modèle de tarification plus classique (selon le nombre d’exécutions, d’utilisateurs, etc.). Mais la possibilité de garder un contrôle très fin sur le coût en gérant soi-même l’infrastructure reste un argument fort.
Pour un freelance ou une petite agence :
- Si vous voulez quelque chose de prêt à l’emploi et simple à budgéter, Make sera généralement plus confortable.
- Si vous êtes prêt à investir un peu de temps dans un serveur, n8n auto-hébergé peut devenir très rentable sur le moyen terme, surtout si l’usage est intensif.
Quelques cas d’usage concrets pour vous aider à trancher
Parlons maintenant de situations concrètes, celles que vous rencontrez probablement dans votre quotidien digital.
Vous êtes freelance ou petite agence marketing
Vos besoins typiques :
- Connecter des formulaires (Typeform, Tally, Gravity Forms…) à un CRM.
- Notifier vos clients sur Slack/Teams à chaque lead qualifié.
- Mettre à jour une base Airtable ou un Notion pour vos reportings.
- Lancer des séquences d’emails selon des événements précis.
Dans ce contexte, Make est souvent le couteau suisse idéal. Son interface rassure vos clients, vous pouvez leur montrer visuellement ce qui se passe, et vous gagnez du temps sur la mise en place.
Vous êtes développeur, intégrateur ou agence technique
Vous jonglez avec des API parfois obscures, des systèmes internes, des contraintes de sécurité fortes. Vous avez peut-être déjà des containers Docker, une stack technique maîtrisée.
Dans ce cas, n8n devient extrêmement attractif :
- vous pouvez l’intégrer à votre infrastructure existante,
- vous contrôlez où vont les données,
- vous pouvez étendre l’outil avec vos propres nodes,
- vous profitez d’un moteur d’automatisation vraiment proche de votre logique de développement.
Vous travaillez dans une structure avec des enjeux de conformité (RGPD, données sensibles)
Si la phrase « les données de nos clients ne doivent jamais sortir de notre infrastructure » est écrite quelque part dans votre cahier des charges, n8n auto-hébergé sera très souvent la réponse la plus adaptée. Make, en tant que SaaS, reste souvent rédhibitoire dans ces contextes.
Alors, n8n ou Make : comment choisir pour vos workflows ?
Si on devait caricaturer les choses, on pourrait dire ceci :
- Choisissez Make si vous voulez un outil :
- visuel, agréable et rapide à prendre en main,
- idéal pour les équipes non techniques,
- très bien intégré avec les grands outils SaaS du marché,
- parfait pour industrialiser vos process marketing, sales, ops.
- Choisissez n8n si vous cherchez :
- une solution open source et auto-hébergeable,
- un contrôle maximal sur vos données et vos workflows,
- une flexibilité quasi illimitée pour les scénarios complexes,
- un moteur d’automatisation proche du monde du développement.
Dans les faits, de plus en plus de structures utilisent… les deux. Make pour les scénarios rapides, accessibles à toute l’équipe. n8n pour les automatisations plus critiques, à haute complexité, pilotées par un profil plus technique.
La vraie question à vous poser n’est pas seulement « quel est le meilleur outil ? », mais : quel est l’outil qui ressemble le plus à votre façon de penser, à vos contraintes, et à votre équipe ?
Si vous visualisez vos idées en schémas, en diagrammes, en flux logiques, et que l’infra ne vous fait pas peur, n8n sera un compagnon puissant. Si vous préférez une interface plus douce, centrée sur la lisibilité métier et le confort, Make vous fera gagner un temps précieux.
Et si vous hésitez encore, le mieux reste de faire ce que tout bon designer-développeur adore faire : prototyper. Prenez un même process métier, implémentez-le dans les deux outils, et voyez dans lequel vous vous sentez vraiment chez vous. Au fond, c’est souvent votre expérience utilisateur, plus que la fiche technique, qui a le dernier mot.
